27 décembre 2015

Chanel N°5

Coïncidence ? J'ai eu la joie de trouver ceci dans mon petit soulier le jour de Noël
Je suis restée quelques minutes en extase devant la sobriété du paquet avant de l'ouvrir, mon esprit refusant d'imaginer ce qu'il pouvait y avoir à l'intérieur. Lequel est lui aussi très élégant, ne laissant encore rien voir du présent.
Selon Henry Gidel (Coco Chanel - éd. j'ai Lu - 2004) ces deux C entrelacés, Gabrielle "les avait rencontrés sur les vitraux d'Aubazine [orphelinat dirigé par la congrégation du Saint-Coeur de Marie où elle fût abandonnée par son père en 1895 à l'âge de 12 ans] ,qu'elle contemplait lors des innombrables offices auxquels il fallait qu'elle assistât. (p.175) Souvent, son regard s'attarde sur les vitraux incolores dont les armatures de plomb façonnent d'étranges dessins. Dieu sait pourquoi, il en est un qui l'attire irrésistiblement. Il est formé de deux lettres "C"entrelacées. [  ] Il existe d'ailleurs bien d'autres signes bizarres dans l'abbaye et Gabrielle aura tout  le temps d'y rêver pendant les années qu'elle va y passer . Ainsi, au premier étage du bâtiment des moines, le sol de la grande galerie est pavé d'innombrables galets blancs. Au centre de cette mosaïque, de petits cailloux noirs forment de mystérieuses figures évoquant des chiffres cabalistiques. On y a vu, ou du moins cru y voir, des "5", un chiffre qui, assurément, était promis à un bel avenir. (p.36)"

Mais, pourquoi COCO ?  En 1902, lorsqu'elle quitte l'orphelinat, Gabrielle est placée à la mercerie Grampeyre à Moulins. C'est une ville de garnison qui abrite plusieurs régiments, dont le 10° dragons, élite de la cavalerie française. Les officiers et sous-officiers de ce régiment appartiennent souvent à l'aristocratie ou la riche bourgeoisie. Les circonstances qui amènent Gabrielle à les rencontrer varient quelque peu d'un biographe à l'autre. Ce qui est certain, c'est qu'elle fréquente en leur compagnie la Rotonde, café-concert de Moulins. Lorsqu'elle décide de  pousser la chansonnette, les cavaliers sont tous acquis à sa cause. Son répertoire n'est pas très fourni : trois ou quatre chansons seulement, parmi lesquelles Ko Ko Ri Ko, interprétée à la Scala  par Polaire et Qui qu'a vu Coco de Baumaine et Blondelet. Le public la bisse : COCO COCO COCO

Mais revenons à mon cadeau. Enfin je le découvre dans un écrin de papier de soie blanc.
Plus qu'une boîte à ouvrir pour accéder au flacon mythique. 
Non, il y en a une deuxième !
Enfin il s'offre à mon regard 
 
"Au début du XXème siècle, parfum et couture appartiennent à deux univers cloisonnés. [  ] C'est Paul Poiret qui, le premier, a l'idée d'illustrer ses collections avec des parfums : idée saugrenue, vivement critiquée par la presse de l'époque. Mais le couturier sait que le parfum est la touche finale de l'élégance d'une femme. [  ] Beauoup ont compris, grâce à Paul Poiret, que le parfum pouvait faire rayonner le nom d'un couturier et exprimer autrement son univers inventif, en atteignant un public plus divers que par la couture."
Extrait de Paris Haute couture -catalogue de l'exposition homonyme à l'Hôtel de ville de Paris - mars à juin 2013 p. 90-91

La création de ce parfum est le fruit de la collaboration entre Coco Chanel et Ernest Beaux, chimiste en parfumerie à Grasse, qui se rencontrent en 1920 sous l'entremise du duc Dimitri Pavlovitch. 
"Ernest Beaux travaille [  ] sur les aldéhydes, produits de synthèse très efficaces : ils permettent non pas de remplacer les essences naturelles mais d'en exalter la puissance odorante et de les faire "vibrer". [  ]
Au cours de l'année 1921, le chimiste propose donc deux séries d'échantillons numérotés de 1 à 5 et de 20 à 24. Il combine avec subtilité pas moins de quatre vingt ingrédients [  ]. Finalement [Gabrielle] retient le n° 22, qu'elle mettra en vente quelques mois plus tard, mais elle tient à lancer très vite le n° 5 pour la présentation de sa prochaine collection le 5 mai 1921. [  ]
On connaît le triomphe mondial de ce parfum, mais comment l'expliquer ? Sa qualité et sa nouveauté sont évidemment à mettre en compte au premier chef. Voici un parfum qui n'évoque aucune senteur déjà connue de fleur, ou d'un mélange de fleurs identifiable. C'est une pure création qui semble issue du néant et dont la séduction est d'autant plus profonde que la source en reste mystérieuse. C'est un parfum révolutionnaire. Comment n'en parlerait-on pas ?
Mais révolutionnaire est aussi la présentation. Jusqu'alors les fabricants, dont le plus célèbre était la cristallerie Lalique, créaient des flacons de fantaisie, de formes extrêmement variées, surchargés d'ornements [  ]. Souvent, les parois du flacon étaient richement gravées. [  ]
Au contraire, Gabrielle, éprise de simplicité et de rigueur, impose un simple flacon de forme parallélépipédique, qui laisse parfaitement admirer le liquide d'or qu'il renferme. On sort de l'époque cubiste qui a mis à la mode carrées et rectangles. Il est probable qu'elle a influencé les choix de Coco... En tout cas, l'objet est très fonctionnel. [  ] En somme Gabrielle, avec ce bon sens paysan et cet esprit pratique qui ne la quitteront jamais, comprend très bien, à l'inverse de ses prédécesseurs, qu'il s'agit de mettre en valeur le contenu et non le contenant.
Mais quel nom va-t-elle attribuer au nouveau parfum ? [  ] Puisque sa personne et sa maison  sont déjà si connues en cette année 1921, pourquoi pas carrément Chanel ? [  ] Gabrielle perçoit la nécessité, au cas où elle lancerait d'autres parfums, de caractériser le premier d'une manière plus précise qui le distingue de ses successeurs éventuels. Le plus simple, pense-t-elle, sera le meilleur... Puisqu'elle a choisi le flacon n° 5, pourquoi pas Chanel N° 5 ? [  ]
Ce goût de la simplicité, qu'elle a manifesté dans le choix de l'appellation du parfum, on le retrouve dans la conception de l'étiquetage : un rectangle tout blanc sur lequel se détache, avec une netteté presque provocante, le patronyme CHANEL en lettres noires.
Extrait de Coco Chanel - Henry Gidel - éd. j'ai Lu - 2004 - p. 172 à 175)
Avant de lui faire une place dans la salle de bains, je me suis amusée à le mettre en scène.